"Travaillé par un collectif d'écrivains venus des pays divers ainsi que des élèves des écoles lauréats au concours d'écriture régional JEUNES PLUMES GRANDS-LACS organisé en marge du Salon du livre des Grands-lacs, REPARTIR ENSEMBLE est une initiative conçue pour offrir annuellement aux jeunes et aux professionnels une plateforme d'expression sur le thème brûlant de la guerre persistante dans l'est de la RDC. Tout en parlant de la guerre, ce recueil reste positif. Il ne fait pas que dénoncer ou palper le côté sombre... Il donne aussi espoir à travers des récits utopiques en même temps que dystopique dans leurs diversités Au-delà du besoin d'apporter de la lumière aux talents locaux, l'objectif est ici d'assoire un espace de dialogue et de réflexion, en rassemblant les différentes communautés de la région des Grands-Lacs à travers la puissance de la littérature et ainsi encourager l'engagement des jeunes et des professionnels dans la discussion de cette problématique majeure.
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Le récit s’était poursuivi par d’interminables sanglots. Ces mots avaient radicalement changé le jeune garçon. Il se sentait inutile, méprisable, désormais conscient qu’il ne verrait jamais le père homme d’affaires qui avait bercé son imagination. Il n’aurait donc jamais de vélo, pas de piano comme son camarade Ekani. Il était le fruit d’un viol. Un mwanaharamu. Un bâtard.
Les lettres qu’il écrivait à son père n’allaient donc nulle part. Tante Magdala le gavait d’illusions pour ne pas ébranler sa jeune âme.
L’école, ses amis, l’ambiance bon enfant pendant la récréation étaient les seules choses qui lui donnaient encore le sourire. L’amour de tante Magdala, aussi.
À l’aube de ses dix ans, un évènement bouleversa complètement sa vie monotone. Alors qu’il aidait tante Magdala à tamiser les résidus de terre pour recueillir des paillettes d’or, seule activité des orpailleurs de son village, la mine fut attaquée par une horde d’hommes armés. En une demi-heure, le village d’orpailleurs fut transformé en un immense champ de guerre. Les plus courageux tentant de s’enfuir, furent rattrapés par des rafales de mitraillette.
Mwanza, la tête écrasée sous les bottes d’un combattant, apercevait impuissant tante Magdala et d’autres femmes qu’on traînait derrière un buisson. Leurs cris perçants et leurs supplications, en disaient long sur ce qu’elles subissaient. Comme pour dissiper tout doute, l’un des rebelles sortit des buissons, lavant ses attributs sexuels avec du whisky. Une pratique dit-on, servant à tuer les germes des IST et le virus du SIDA.
Des éclats de rire réveillèrent Mwanza plus tard. Il ne savait pas combien d’heures ou de jours il avait dormi. La première chose qu’il vit était un visage méchant suspendu au-dessus du sien. Le rire carnassier d’un homme à la barbe bien fournie. Sur son cou pendait une grosse amulette. Son rire laissait apparaître des dents mal rangées jaunies par la nicotine et la kola. Une forte odeur d’alcool agressa les narines de l’adolescent.
- Bienvenu parmi nous, lança l’homme. Tu es dans ta nouvelle famille. Ta vraie famille. Ici, tu es protégé, nourri, éduqué.
- Où suis-je ? demanda Mwanza hébété. Magdala, où est tante Magdala ?
Pour seule réponse, on lui tendit une arme et on lui montra un groupe d’adolescents de son âge avec des kalachnikovs et des armes de poing, prêts à s’entraîner, prêts à tuer. Leurs cibles : de jeunes chimpanzés attachés aux pieds de grands arbres dressés aux abords du petit cours d’eau qui slalomait tant bien que mal au cœur de la forêt
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Extrait de la nouvelle "Traversées" de Adamou Doubla, auteur de "Peau de misère, Ed.Les lettres mouchetées 2023. (Maroua, Cameroun)