La phrase la plus longue de la langue française

0 165 07.04.2025 Introduction

Le saviez-vous ? La langue de Molière ne cesse de nous étonner, l’on y découvre cet homme célèbre pour la magie de ses mots.

Image du post La phrase la plus longue de la langue française

Marcel Proust est renommé pour ses phrases d’une longueur remarquable, dont l’une, avec ses 856 mots, est considérée comme la plus longue de la littérature française.

« Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui : “Les deux sexes mourront chacun de son côté” ; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les juifs autour de Dreyfus, de la sympathie – parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir, qui ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter à l’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, mais d’une maladie inguérissable ; comme les juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leurs rebuffades, s’enivrant de leurs complaisances ; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable celui qui l’est demeuré davantage), une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher comme un médecin l’appendicite l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’anti-chrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes, qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat : le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas en sortant de chez la duchesse, s’en va conférer avec l’apache ; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas, étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale, légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. »P


Par Marcel Proust, dans Sodome et Gomorrhe

Powered by Froala Editor

Image de profile de Kiosque Littéraire, rédacteur(trice) sur le site de Kiosque Littéraire.

Kiosque Littéraire

Écrivains, Acteurs Culturels et Littéraires

Pour liker, disliker, réserver, ou commenter ce post, abonnez-vous ou connectez votre compte si vous en avez un !
Image principale du post intitulé Voix d'auteur : « Lire, c’est pousser des portes qu’on croyait murées et entrer dans des pièces qui parfois disparaissent avec la dernière page…et parfois restent là, dans un coin de nous, à hanter nos jours », Idriss Mulid.
Chronique
Abel Bukasa 17.08.2025

Avec Idriss Mulid, un simple message au secours ! devient une invitation à philosopher, et un Larvier gribouillé se transforme en cathédrale de lectures.

Image principale du post intitulé Oraison funèbre de Ecce Sanctus en hommage à son ami le grain de céréale, au cimetière chez La Jolie à Bandal
Chronique
Kiosque Littéraire 17.08.2025

Il n’était qu’un grain de blé, il est devenu mémoire liquide, rire pétillant et ivresse partagée : preuve qu’une vie, si petite soit-elle, peut finir en légende.

Image principale du post intitulé "L’église de réveil congolaise est un phénomène social. Une scène. Un théâtre. Une salle de spectacle sacré où la foi et le showbiz se donnent rendez-vous chaque dimanche."
Chronique
Kiosque Littéraire 05.08.2025

Chez nous, le Saint-Esprit descend avec effets spéciaux, le pasteur prophétise en 4K, et ta dîme fait office de billet pour le meilleur stand-up céleste du dimanche !

Image principale du post intitulé Pour le bonheur des miens de Macaire Etty
Chronique
Stéphane Kabamba 05.08.2025

Quand la survie devient un choix, les valeurs vacillent, non par faiblesse, mais par nécessité.

Designed and Developed by NZANZU MUHAYRWA L. / +243-977-210-519 / nzanzu.lwanzo.work@gmail.com