Nzungu ya Kala : Love ou la tendresse d’un roc
L’amour qui résiste au temps ne se crie pas, il se prouve dans le silence des gestes.

Il y a, dans certaines femmes, une lumière qui ne s’éteint jamais.
Même quand tout vacille autour d’elles,
même quand les murs du monde menacent de tomber,
elles restent debout
non pas par orgueil, mais par amour.
Love était l’une d’elles.
À Lubumbashi, dans un quartier où les espoirs se glissent entre les tôles ondulées comme des souffles de fin d’après-midi, elle avançait, le cœur chargé de tendresse et de force.
Vingt et quelques années, un rire discret, des mains pleines de soin, et des yeux qui savaient écouter mieux que des mots.
Son homme, lui, était un rêveur blessé. Un jeune avocat portant des cicatrices invisibles et des ambitions trop grandes pour les poches trouées de son quotidien. Mais Love le regardait avec la foi d’un temple intact : comme on croit en Dieu, comme on croit en demain, même quand aujourd’hui s’effondre.
- Je ne suis peut-être pas le miracle que tu attends, mais je suis le silence qui te tient debout.
Elle lui disait cela parfois, les soirs de doute, quand l’avenir lui semblait muet pour longtemps.
Il lui avait parlé de Kinshasa comme d’une promesse :
d’un concours, d’un rêve de barreau national, de cette chance unique de « sortir un peu la tête de l’eau ».
Love avait écouté en silence, comme toujours. Puis, elle avait souri. Prudence : ce sourire n’était pas jaune, ni pour faire semblant, mais celui qu’on donne quand on accepte de souffrir pour que l’autre grandisse.
- Si ton rêve doit te séparer de moi un instant, alors va. Mais reviens. Reviens entier. Reviens vrai.
Il était parti à la saison des vents secs, quand les acacias tremblent d’un feuillage pâle et que les rues de Lubumbashi semblent retenir leur souffle.
Ils s’étaient promis des appels, des lettres, et cette fidélité d’âme qui survit même aux silences qui finissent par devenir silencieux à force de durer.
Au début, il écrivait beaucoup :
des mots doux, des projets à deux, des je t’aime posés comme des cailloux blancs dans la forêt de l’éloignement.
Mais les jours devinrent lourds. Les réponses, rares.
Et dans ses messages, Love sentit peu à peu le souffle d’une autre présence. L’intuition féminine oblige.
Cependant, elle ne dit rien.
Elle n’accusa pas.
Elle n’espionna pas.
Elle attendit.
Pas comme attendent celles qui se résignent
mais comme veillent celles qui savent que l’amour véritable n’est ni aveugle, ni naïf, mais lucide et patient.
- S’il y a quelqu’un d’autre, dis-le. Je ne suis pas un piège. Je suis une main tendue, même quand on ne la saisit plus.
Elle lui avait envoyé ce message un soir où la lune semblait plus lourde que le monde.
Il ne répondit pas tout de suite. Mais il lut. Et il comprit.
Ce fut lui qui, le lendemain, appela avec une voix pleine de pluie.
Il parla. Pas tout, mais assez.
Assez pour qu’elle sentît dans sa voix cette honte douce-amère des hommes qui ont aimé mal, mais qui n’ont jamais cessé d’aimer.
Oui, il y avait eu une présence. Fugace.
Un mirage dans une ville étrangère, où la solitude se déguise parfois en tendresse.
Mais c’était à Love qu’il pensait, dans les silences, dans les rues vides de Kinshasa, dans les salles d’audience, et même dans ses erreurs.
Elle l’écouta.
Elle ne pleura pas.
Elle soupira longuement, comme on expire un rêve brisé qu’on décide de recoudre, fil après fil.
- Tu n’as pas détruit mon amour. Tu l’as écorché. Et moi… moi, je suis faite pour réparer. Mais pas à n’importe quel prix. Reviens, si tu veux. Mais reviens humble. Reviens vrai.
Il revint.
Pas en héros.
Pas en prince.
Il revint comme un homme qui avait compris qu’on ne bâtit pas un avenir avec les cendres de la facilité.
Il retrouva Love là où il l’avait laissée : forte, droite, un peu changée, mais toujours aimante.
Elle ne lui sauta pas au cou.
Elle lui tendit la main.
Et dans ce geste simple, il y avait toute la noblesse d’une femme qui aime sans s’effacer.
Les années passèrent.
Ils ne se marièrent pas tout de suite.
Ils reconstruisirent lentement, mot après mot, silence après silence.
Love devint juge ; lui, avocat.
Ils vivent à Lubumbashi.
Certains jours, ils se disputent. D’autres, ils rient.
Mais chaque soir, elle pose sa tête sur son épaule.
Et il sait que, tant qu’elle respire à ses côtés, il ne sera jamais seul.
Parce qu’il a compris, enfin, que l’amour vrai ne crie pas.
Il tient.
Il endure.
Il espère.
Et Love…
Love n’était pas juste son nom.
C’était sa vocation.
Serait-ce pour cela que l’on dit : Nzungu ya kala babwakaka ngo te ? se surprit-il à penser…
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