Voix d'auteur : « Lire, c’est pousser des portes qu’on croyait murées et entrer dans des pièces qui parfois disparaissent avec la dernière page…et parfois restent là, dans un coin de nous, à hanter nos jours », Idriss Mulid.

0 68 17.08.2025 Introduction

Avec Idriss Mulid, un simple message au secours ! devient une invitation à philosopher, et un Larvier gribouillé se transforme en cathédrale de lectures.

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Alors que je cherchais ce que j’allais pouvoir écrire pour l’article de cette semaine, Idriss Mulid s’est présenté à ma mémoire depuis sa Belgique lointaine. Je n’ai pas hésité. Je lui ai écrit. Un message court. Très court. Du type « au secours ! Pardon ! ». Idriss est le genre d’amis tu lui dis : « J’ai tué un homme », il t’aide à planquer le corps. N’y voyez rien d’aveu. Que de la littérature ! 

 Et puis cet entretien est né comme naissent certains rêves, comme pousse une plantule dans un rocher. 

 Dans ce Voix d’auteur aujourd’hui, Idriss Mulid, lecteur invétéré et exigeant, partage avec moi ses goûts de lecture, ses tips de lecteur, sa passion pour le livre, pour la littérature, pour la philosophie, nous allons ensemble pénétrer sa pharmakonthèque, son larvier. C’est à s’en sentir intelligent ! 

 Le monde et l’infinité ont disparu, Idriss et moi sommes pendus au bout du fil, on entend juste le petit bruit du rêve gratter la vitre. 

Voix d’auteur : Aussi loin que je me souvienne, tu as toujours eu un livre sur toi ou alors tu as toujours été environné de livres. Je voudrais savoir dans quelles circonstances tu as commencé à lire.  

Idriss Mulid : J’ai appris à lire en famille, avec l’aide d’un cousin étudiant, alors que je n’avais pas encore mis les pieds à l’école. J’étais en âge d’être en maternelle, mais mes parents attendaient d’avoir les moyens de m’inscrire en primaire. C’est grâce à lui que j’ai découvert l’alphabet français et que j’ai déchiffré mes premières syllabes.

Te rappelles-tu tes premières lectures ? 

Oui, comme si c’était hier. Comme beaucoup d’écoliers de mon âge, j’ai commencé avec le manuel Marc et Nathalie et leurs amis, puis je suis rapidement passé à la collection À nous le français, qui m’a laissé un souvenir impérissable. 

Justement en parlant de souvenir, quels livres t’ont laissé le plus grand souvenir ? 

Je vais être bref, même si j’en ai plusieurs. Le premier, c’est le Coran. Je ne sais pas s’il m’a marqué positivement à l’époque : à l’école coranique, on m’apprenait à réciter avant de comprendre. Ensuite, il y a eu Les Méditations poétiques, puis Les Souffrances du jeune Werther, pour parfaire le cliché romantique d’adolescent. Enfin, pour guérir de ce mal, L’Éducation sentimentale, qui est devenue, pour parler comme Kafka, ma « bible » littéraire… ou, pour respecter mon héritage musulman, mon « coran » littéraire… ou encore, mon « grimoire » littéraire ; ça marche aussi. 

Quel type de lecteur penses-tu être ? 

(Rires) Un lecteur infirme : lent, je suis avide de phrases incandescentes qui vont dans mon Larvier. C’est un carnet où je note tout ce qui me remue les tripes (aphorismes, incipits, paragraphes, métaphores, etc.), parfois sans savoir pourquoi. Parfois, c’est pour les critiquer, les malmener, assaisonner tout ça à ma sauce larvaire. Et il m’arrive de relire le même livre deux ou trois fois, pour le tourner, le retourner, le labourer, comme en quête d’un germe. Je suis aussi de ces lecteurs qui sacrifient parfois le plaisir pour le codex : est-ce là l’héritage de l’école coranique, où l’on apprenait d’abord à déchiffrer, à respecter la lettre, avant de goûter le sens et d’apprécier la mélodie ?

Comment choisis-tu tes lectures ? 

J’ai mes orthodoxies : je me tourne d’instinct vers les auteurs qui font autorité. Mais je me laisse parfois happer par des recommandations ; dans ce cas, je « googlelise » avant de plonger. C’est ainsi que j’ai rencontré Felwine Sarr,  une déflagration douce : il m’a remué les tripes, ébloui, et il hante encore mes lectures comme un parfum qui ne s’évapore pas.

Pour toi, que signifie lire ? 

Lire, c’est pousser des portes qu’on croyait murées et entrer dans des pièces qui parfois disparaissent avec la dernière page… et parfois restent là, dans un coin de nous, à hanter nos jours. Elles nous renvoient l’écho de voix aimées, chéries, bouleversantes, ou décevantes. Oui, je garde aussi les fantômes des livres décevants : ils servent de repères inversés, des balises qui m’aident à savoir où je ne veux pas aller. Et puis, il y a ces voix étrangères qu’on laisse entrer jusqu’à ne plus savoir où commence la sienne.

As-tu des rituels de lecture ? 

Oui, mais ils changent selon les situations. Par exemple, je ne lis pas le matin dans le métro sans mon café. Les livres « lisses » se prêtent à la marche : ils glissent comme le mucilage du bouillon de gombo. Mais pour les textes plus philosophiques ou conceptuels, il me faut être à mon bureau, dans mon fauteuil pivotant, stylo en main, prêt à ensemencer le Larvier.

As-tu un endroit idéal pour une séance de lecture ? 

La bibliothèque. Pour le silence, la tranquillité, et ce calme presque monacal qui met l’esprit dans une disposition propice à la lecture.

Qu’est-ce que tu attends d’un livre ? 

Ça dépend du livre. Je ne suis plus adepte de la « feel good littérature », mais je n’ai pas les mêmes attentes en lisant L’Aventure ambiguë ou La Plus Secrète Mémoire des Hommes. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a des livres qui vous obligent à prendre des notes, à vous interrompre, à vous mettre face aux questions qu’ils soulèvent.

À quoi ressemble ta bibliothèque ? 

Éclectique, indisciplinée… mais parfaitement rangée à ma façon. J’aime l’appeler ma pharmakonthèque : un endroit où s’alignent, selon l’instinct du moment, des remèdes et des poisons pour l’esprit. Pas d’ordre alphabétique, pas de hiérarchie géographique ou de littérature nationale ; juste un peu de regroupement par genre. C’est ainsi que Fais-moi passer le lac des caïmans de Masegabio peut se retrouver à côté d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé. On y croise des coups de cœur, des ouvrages qui font autorité, et ces livres qu’on ouvre juste pour picorer quelques lignes, comme on goûte un élixir dont on ne sait pas encore s’il va guérir ou troubler. 

Quel est le livre que tu n’as jamais su finir, mais dont tu te vantes d’avoir fini pour frimer devant tes potes ? 

Le Mythe de Sisyphe. J’ai lu le début et la fin, en esquivant le ventre mou, qui demande à mon avis une vraie disponibilité philosophique. J’aime à me convaincre que je le finirai un jour, stylo en main, pour pouvoir en discuter avec mes détracteurs. Lol !

C’est quoi pour toi une journée réussie ? Comment se déroule-t-elle ? 

J’ignore ce qu’est vraiment une journée réussie, mais  je sais ce qu’est une journée ratée : celle où je n’arrive pas à gratter même un quart d’heure pour avancer sur l’une de mes lectures… ou pour replonger dans les larves de mon Larvier, relire des idées ou des passages déjà notés, les tourner, les malmener,  les mettre à l’épreuve. Pouvoir lire, même quelques minutes, c’est déjà du baume au cœur.



Bkabel/14 août 2025/Entretien, livres, littérature, théâtre.

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Abel Bukasa

Bkabel est écrivain et chroniqueur littéraire.

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