Amour est irrationnel (Suite)

0 89 16.05.2025 Introduction

L’amour est irrationnel non parce qu’il contredit la raison, mais parce qu’il la précède en s’imposant comme une vérité première, intuitive et fondatrice, échappant à toute démonstration logique.

Image du post Amour est irrationnel (Suite)
Perle photographie

8. Regardez ce qui se passe quand vous décrivez la personne que vous aimez à un de vos amis. Cette personne-là vous voit plein d’enthousiasme, des étoiles dans les yeux, le sourire aux lèvres, en train de parler de la personne que vous aimez. Et donc vous lui faites la liste de toutes les qualités de cette personne. Et vous lui dites à quel point c’est génial que cette personne soit comme ci, comme ça, qu’elle ait telle ou telle qualité, qui pour vous sont des qualités essentielles. On est bien d’accord qu’en faisant cette description à votre ami, il ne va pas pour autant tomber amoureux de la personne dont vous lui parlez. C’est-à-dire que toutes les qualités de la personne que vous aimez, que vous lui avez citées, ne vont pas créer chez votre ami un sentiment amoureux pour cette personne. Pourquoi ? Parce qu’on ne tombe pas amoureux d’une liste de qualités. Et votre ami à qui vous faites l’article de toutes les qualités de la personne que vous aimez, à ce moment-là, tout ce qu’il voit, ce sont les étoiles dans vos yeux, c’est votre sourire, c’est-à-dire ce sont les réactions physiologiques qui indiquent votre amour. C’est ça qu’il voit, votre ami, à ce moment-là.

Donc vous, bien sûr que vous essayez de rationaliser votre amour, vous allez chercher à lui trouver une explication, à lui trouver des causes objectives. Et donc vous allez citer toutes les qualités de la personne que vous aimez comme pour vous rassurer de ne plus être sous le contrôle de votre raison, comme pour vous rassurer de ne pas être entièrement assujetti à votre amour. Mais c’est une illusion. C’est une illusion et vous le savez parfaitement, mais quelque chose en vous a besoin de se dire que si vous êtes dans cet état amoureux, c’est qu’il y a des raisons rationnelles. Mais vous savez très bien que non. Vous savez très bien que c’est l’amour qui préside aux qualités que vous allez reconnaître à la personne que vous aimez. Vous savez très bien que votre amour précède votre raison et que la raison ne fait que trouver un chemin pour justifier votre amour. Donc voilà pour la deuxième raison qui fait qu’on peut dire que l’amour est un sentiment irrationnel, c’est que l’amour ne résulte pas d’un examen objectif des qualités de l’autre, l’amour ne procède pas d’une évaluation, c’est quelque chose qui excède tout examen, toute analyse et c’est quelque chose dont la raison aurait bien du mal à rendre compte.

9. Mais maintenant, équilibrons l’analyse, la règle d’or en philosophie qui consiste à poser une objection, et pour ça j’aurai besoin de Schopenhauer. Parce que Schopenhauer est de ceux qui pensent que l’amour serait un sentiment rationnel. Rapidement, et en quelques phrases, relevons le malentendu : pourquoi d’aucuns pensent que l’amour serait-il un « sentiment rationnel » ? Eh bien, parce que, pour Schopenhauer  pour ne pas le citer « l’amour, c’est d’abord la manifestation de la volonté de l’espèce de se reproduire avec le partenaire idéal. » Autrement dit, l’amour, du point de vue de Schopenhauer, c’est tout simplement l’expression rationnelle de la volonté de l’espèce ; du point de vue de l’espèce, l’amour est quelque chose de rationnel parce que c’est ce qui nous fait aller vers le partenaire avec lequel nous avons le plus de chances d’avoir une descendance optimale.

Alors je sais que certains trouveront ça extrêmement cynique et désabusé, mais on va adopter ce point de vue et on va voir où ça nous conduit.

10. Je rappelle la position de Schopenhauer : « Lorsqu’on aime quelqu’un, cela signifie qu’on reconnaît en lui le géniteur le plus adapté pour perpétuer l’espèce dans des conditions optimales. » Lorsqu’on aime quelqu’un, c’est qu’on entrevoit en lui les meilleures chances d’optimiser notre descendance, d’avoir de beaux enfants si on voulait le résumer simplement.

Si tel est le cas, alors, évidemment, c’est inconscient, on ne se le formule pas de manière explicite, mais le sentiment amoureux est l’expression de cette reconnaissance en l’autre du partenaire idéal. Donc pour Schopenhauer, l’amour, ce n’est rien d’autre qu’un stratagème de la nature pour préserver nos gènes et les propager correctement. Donc c’est un point de vue naturaliste, pourrait-on dire, et c’est un point de vue qui n’est pas aberrant du point de vue de l’évolution des espèces. Parce qu’après tout, si tous nos affects ont une fonction physiologique, de même que la peur est un signal pour nous avertir d’un danger, eh bien pourquoi ne pas admettre aussi cette idée que l’amour aussi a une fonction biologique ?

Cela signifie qu’on ne tombe pas amoureux de n’importe qui. On tombe amoureux de la personne avec laquelle on s’estime compatible. Compatible ou complémentaire, ça revient au même. Voilà pourquoi, généralement, la personne qu’on aime, elle possède à la fois des qualités qui nous sont communes, mais elle possède également des qualités que nous n’avons pas nous-mêmes. C’est ce qui nous la rend complémentaire. Et c’est ce qui donne l’image de ce que Platon appelait les androgynes, c’est-à-dire des êtres qui sont à la fois hommes et femmes, qui possèdent un seul corps, mais tous leurs membres sont en double. Donc il y a bien cette idée de tronc commun, d’unité, et en même temps cette idée de polarité, d’opposition qui crée la complémentarité.

11. Mais alors, qu’est-ce qu’on peut répondre à Schopenhauer ? On peut lui répondre que, ok, du point de vue de la nature, du point de vue de l’espèce, du point de vue de la vie, l’amour est quelque chose d’un tout petit peu rationnel. Mais du point de vue de l’individu, du point de vue de l’individu qui éprouve ce sentiment amoureux, cette reconnaissance en l’autre du partenaire idéal, cette reconnaissance en l’autre de la moitié qui nous complète, elle se fait de manière inconsciente. Elle se fait en deçà de toute analyse, en deçà de toute réflexion. C’est-à-dire que, là encore, reconnaître dans l’autre celui ou celle qui va nous donner les plus beaux enfants, ça ne se fait pas à travers une analyse physiologique, ça ne se fait pas à travers un examen analytique, ça se fait de manière instinctive.

Et donc cette reconnaissance de l’autre comme partenaire idéal pour la reproduction se fait de manière immédiate, elle se fait de manière directe. Et l’amour, c’est le raccourci qui nous permet d’arriver directement à la conclusion : à la conclusion que cette personne est la plus adaptée et la plus compatible pour assurer notre descendance. Parce que le sentiment, c’est la voie d’accès la plus directe à la certitude. Donc on pourrait dire que l’amour, c’est ce qui nous fait gagner du temps dans le travail de recherche et de reconnaissance de celui qui nous convient le mieux. C’est une ligne directe, sans escale, qui nous permet de savoir qui est fait pour nous.

Alors, évidemment, quand on utilise ce genre d’expression, ça semble présupposer une sorte d’intention de la nature, ça semble indiquer l’idée d’un plan, d’un plan cosmique ou d’un plan divin, peu importe, c’est-à-dire d’une volonté surnaturelle. Mais, à la limite, peu importe, ce n’est pas cela qui compte. Ce qui compte, c’est la manière dont ce sentiment est reçu, c’est la manière dont il est éprouvé et dont il nous fait agir. Or, le fait est qu’il n’y a pas de sentiment plus puissant que celui qui nous dit que la personne qu’on aime est faite pour nous. Et c’est ce qui fait l’efficacité de ce sentiment du point de vue de l’espèce.

La seule chose qui compte et qu’on doit retenir, c’est que cette reconnaissance dans l’autre des qualités qui nous complètent et nous permettront d’avoir la meilleure descendance, cette reconnaissance, elle se fait de manière immédiate par le sentiment amoureux. Elle se fait sans passer par le détour de la raison. On le sent, c’est pour ça que ça s’appelle un sentiment. Et ce sentiment, c’est en même temps un savoir : on le sait. Donc on sait que c’est cette personne-là vers laquelle on doit aller.

Évidemment, ce savoir ne peut pas être démontré, il ne peut pas être justifié rationnellement parce que l’amour est au-delà de toute démonstration, l’amour est au-delà de toute argumentation, puisqu’il est au-delà de toute raison. C’est ça qui fait toute sa puissance : le fait qu’il s’agisse d’un chemin direct, un chemin dans lequel tout questionnement devient superflu, un chemin dans lequel toute réflexion n’est qu’un ralentissement. Parce que parfois, la réflexion, ce n’est rien d’autre que l’art de compliquer des choses simples. La réflexion, c’est parfois l’art de nier l’évidence, au prix d’efforts et d’une dépense d’énergie assez considérable.

Donc cet amour, il prend la forme d’un savoir que l’on ne peut pas démontrer, mais c’est un savoir au sens où il prend la forme d’une évidence aussi forte que celle qui nous dit que deux plus deux égale quatre. L’amour prend toujours la forme d’une évidence.

Et qu’est-ce que l’évidence ? C’est la reconnaissance immédiate de la vérité. C’est la reconnaissance immédiate de la vérité que l’on ne peut pas démontrer autrement qu’à travers notre sentiment d’évidence. C’est en ce sens que le sentiment peut être le vecteur d’une connaissance, peut être même le vecteur d’un savoir. C’est un savoir qui ne s’obtient pas en parcourant les chemins indirects de la raison. C’est un savoir immédiat. Et c’est cela que Blaise Pascal appelle « connaître par le cœur, connaître par le sentiment », parce que sentir la vérité, c’est quelque chose que la raison ne pourra jamais faire. C’est quelque chose face à quoi la raison est impuissante.

12 Et donc je disais tout à l’heure que la citation de Blaise Pascal donnait souvent lieu à un malentendu sur sa signification réelle. Parce qu’en réalité, dans cette phrase, Pascal ne fait pas directement référence au sentiment amoureux. J’ai choisi cet exemple pour vous faire voir ce que signifie connaître par le cœur. Parce qu’au départ, Pascal voulait décrire le rapport entre la foi et la raison, et il voulait montrer qu’on ne peut connaître Dieu que par la foi et non par la raison. Il voulait montrer qu’il y a des vérités qui sont par définition inaccessibles à la raison, et que, dans la plupart des cas, la raison ne fait que confirmer ce que le cœur savait déjà.

Alors, confirmer ou infirmer, parce qu’il arrive que la raison aille contre l’évidence du cœur, et on en parlera dans cette réflexion. Mais dans son analyse du rapport entre foi et raison, Pascal insiste sur le fait que la raison ne peut pas tout savoir et que toutes les vérités rationnelles sont d’abord construites sur les vérités du cœur.

D’où, d’ailleurs, chez Pascal, l’idée qu’il est vain de vouloir démontrer rationnellement l’existence de Dieu. De ce point de vue-là, Pascal, c’est l’anti-Descartes. Là où Descartes pensait qu’il fallait passer par la raison pour conférer une légitimité à l’idée de Dieu, Pascal pense au contraire que c’est une entreprise vouée à l’échec. Précisément parce que la raison est incapable de se hisser à cette forme particulière de connaissance qu’est la connaissance de Dieu.

Connaître la vérité par le cœur, ça veut dire que le socle de toutes nos connaissances rationnelles, c’est le socle des vérités du cœur.

Et donc, pour le montrer, Pascal passe par beaucoup d’autres exemples qui n’ont rien à voir avec le sentiment amoureux. Simple rappel : Pascal, étant un amoureux des mathématiques, utilise souvent des exemples de géométrie. Nous savons intuitivement, nous savons par le cœur, par exemple, que par un point peut passer une infinité de droites. Mais ça, ce n’est pas quelque chose qui puisse faire l’objet d’une démonstration mathématique sous la forme d’un théorème. C’est juste une évidence. C’est un postulat, c’est-à-dire indémontrable.

Tout ce que nous appelons des postulats, c’est ce que Pascal appelle des vérités du cœur, c’est-à-dire des vérités indémontrables par la raison mais dont on ne peut pas douter. Et donc il y a une vraie distinction à opérer entre les vérités du cœur, qui sont des vérités immédiates qui ne passent pas par le prisme de la raison, et les vérités rationnelles, qui consistent en un enchaînement d’opérations intellectuelles pour parvenir à un résultat. Je disais tout à l’heure que la réflexion, c’est parfois l’art de compliquer des choses simples et l’art de détourner le regard de l’évidence.

Et d’ailleurs, la méthode scientifique se réclame de cette démarche puisque, précisément, la démarche scientifique consiste à aller au-delà de nos impressions sensibles, au-delà de nos perceptions.

Effectivement, si le savoir scientifique n’était construit que sur nos perceptions, ce savoir serait un peu bancal, parce que parfois nos perceptions sont trompeuses. Nous sommes soumis à des biais sensoriels, nous sommes soumis à des illusions, et donc construire le savoir scientifique sur la seule base de nos perceptions, ce serait pour le moins hasardeux. Mais, sauf que Pascal fait bien la différence entre la perception et le sentiment. Le sentiment, ce n’est pas la perception et ce n’est pas non plus de l’impression.

Et ça, c’est une grande confusion qu’on fait très souvent lorsque l’on parle d’intuition : c’est de confondre le sentiment et l’impression. C’est de confondre le savoir du corps. Le corps peut nous donner de fausses informations. La sensibilité du corps et les différences de sensibilité des corps, c’est quelque chose qui va nous amener à avoir des perceptions parfois totalement différentes d’une personne à l’autre. Quand...


A suivre...


Augustin Mwelwa

Powered by Froala Editor

Image de profile de Kiosque Littéraire, rédacteur(trice) sur le site de Kiosque Littéraire.

Kiosque Littéraire

Écrivains, Acteurs Culturels et Littéraires

Pour liker, disliker, réserver, ou commenter ce post, abonnez-vous ou connectez votre compte si vous en avez un !
Image principale du post intitulé Deux lions en cavale
Autre
Kalombo I I 01.06.2025

Dans un pays où les lions s'évadent et les ministres paradent, il ne reste aux poètes que l'ironie pour dresser l'inventaire du réel.

Image principale du post intitulé « Une simple lettre d’amour », lecture de Sir Hakim Ndondji
Autre
Hakim Ndondji 01.06.2025

Une simple lettre d’amour de Yann Moix est un plaidoyer bouleversant pour la réhabilitation de l’amour véritable, loin de la sexualité réduite, qui nous pousse à réfléchir profondément sur ce sentiment essentiel que les hommes, selon l’auteur, ne savent plus vivre.

Image principale du post intitulé Les lions à L'shi : Entre blagues et « peurs irrationnelles des animaux ! »
Autre
Kiosque Littéraire 25.05.2025

À Lubumbashi, entre humour et panique face aux lions en fuite, rappelons que les peurs des animaux, parfois irrationnelles, relèvent de traumatismes réels que seul un accompagnement psychologique peut apaiser.

Image principale du post intitulé L’amour est irrationnel (Suite et fin)
Autre
Kiosque Littéraire 17.05.2025

Bien que la raison soit nécessaire pour transmettre un savoir de manière démontrable, elle est souvent influencée par nos peurs et désirs, alors que le cœur, porteur d’une vérité profonde et intuitive, précède toujours la raison dans nos choix fondamentaux.

Designed and Developed by NZANZU MUHAYRWA L. / +243-977-210-519 / nzanzu.lwanzo.work@gmail.com